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Textes


Jean-Claude Carrière – Graines de vie
Dans une ile lointaine
Apparut une graine
Qui avait tout l’aspect
D’une vraie volupté

Et cette graine a dit
Que dans le paradis
Il n’y a avait qu’une âme
Pour l’homme et pour la femme

Coco de mer
Coco fendu
Fruit défendu
Que vais-je faire ?

Une femme passait
Du nom de Marie l’or
Et elle s’étonnait
En voyant cette flore

Elle comprit qu’un jour
Bien avant l’animal
Ce fut un végétal
Qui inventa l’amour

Cocos de mer
Ronds et polis
Graines de vie
Ont touché terre

Marie laure a cueilli
Un gros sac de ces graines
Et comme par magie
S’est faite magicienne

Si je passe un peu d’or
Sur cette forme ronde
Je transforme le monde
Et j’en fais un trésor

Coco de mer
Là, dans la nuit
Voici la nuit
Il faut se taire

Et je m’endors
Serrant très fort
Les cocos d’or
De Marie l’or.

Jean-Claude Carrière
Novembre 2010
Bruno Meyerfeld – Les Seychelles veulent sauver le  » coco-fesses « 



Le cocotier de mer est en voie de disparition. Son fruit, le plus gros du règne végétal, s’écoule à prix d’or sur les marchés asiatiques.
Marc Jean-Baptiste, administrateur du parc de la vallée de Mai aux Seychelles, hésite sur les mots pour qualifier le fruit qu’il a sous les yeux.  » C’est une noix bilobée… elle ressemble à un coeur… ou si vous préférez, au bassin d’une femme « , dit-il en tâtonnant, un peu gêné. L’objet a pourtant une forme plus qu’évocatrice : dans le monde entier, on le connaît sous le nom de  » coco-fesses « .
Il n’y a guère qu’une poignée d’environnementalistes pour l’appeler par son nom officiel de  » coco de mer « . Ce fruit, le plus gros de tout le règne végétal, qui pèse entre 20  kg et 45  kg pour une cinquantaine de centimètres de diamètre (dix fois plus qu’une pastèque), est aussi le symbole national des Seychelles, présent sur les frontons d’innombrables hôtels et restaurants, offert aux hôtes de marque, inscrit sur les visas d’entrée et les armoiries du pays.

Mais le coco-fesses est en danger.

 Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a placé l’espèce dans sa liste rouge, il ne resterait guère plus que 8 282  cocotiers dans le monde et vivant à l’état sauvage, répartis dans moins de six sites et sur les seules îles seychelloises de Curieuse et Praslin.

Législation renforcée

La vallée de Mai, nichée au coeur de cette dernière et inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, avec sa flore conservée dans son état quasi originel, ses geckos impassibles et ses perroquets rieurs, abrite l’une des plus grandes forêts de cocotiers de mer.
L’espèce a perdu 30  % de sa population en trois générations.  » Et on estime que le phénomène pourrait se poursuivre dans la centaine d’années à venir « , craint M. Jean-Baptiste. La faute, d’abord, au braconnage. Le drame du coco-fesses est d’être un fruit légendaire, très prisé en Asie, où on lui trouve des vertus (forcément) aphrodisiaques. Sa rareté en fait un produit de luxe, très rémunérateur pour les braconniers.
L’annus horribilis fut celle de 2014, lorsque 228 noix étaient arrachées aux cocotiers par les braconniers, pénétrant dans la vallée de nuit en profitant de l’absence de grillage et de surveillance.  » C’était dramatique, car arracher les cocos a un impact direct sur leur processus de reproduction des cocotiers. Quand un arbre meurt aujourd’hui, il n’y en a pas de nouveau pour prendre sa place « , insiste l’administrateur du parc.
Pour sauver le symbole de la nation, l’Etat a pris les grands moyens.  » Nous avons multiplié les patrouilles et une force d’intervention spéciale a été créée « , détaille Frauke Fleischer-Dogley, directrice de la Fondation des îles des Seychelles (SIF), organisme public chargé de la protection la vallée de Mai. La législation a aussi été renforcée : un braconnier de coco-fesses risque aujourd’hui 35 000  euros d’amende et deux ans de prison.  » La situation s’est améliorée. Les cocotiers attaqués par les braconniers commencent à se régénérer. Nous n’avons eu une nette diminution des incidents ces derniers mois « , assure Mme Fleischer-Dogley.
De son côté, le gouvernement souhaite favoriser une exportation légale des coco-fesses  afin de couper l’herbe sous le pied des braconniers. Aujourd’hui, seules quelques noix tombées au sol sont ramassées chaque année et leur coque vidée vendue aux touristes. Seules trois entreprises disposent d’une licence pour extraire le kernel du coco-fesses et l’exporter à l’étranger.
 » Je pense qu’il faut se servir du coco comme l’Afrique le fait avec ses animaux ! « , insiste le ministre du tourisme des Seychelles, Alain Saint-Ange. En  2014, une première  » foire culinaire du coco de mer  » était organisée à Praslin pour mettre en valeur le produit.  » Mon idée, c’est de créer une usine de transformation du coco pour produire de la farine et de l’huile. Cela incitera à planter des arbres, sauvera le coco de mer et donnera une nouvelle source de revenus aux Seychellois ! « 
Mais le lait de  coco-fesses  au supermarché n’est pas pour demain : il faut une bonne vingtaine d’années pour qu’un cocotier atteigne sa taille adulte et produise ses premiers fruits.  » Et le braconnage n’est pas le seul danger pesant sur les cocos de mer ! « , rappelle Marc Jean-Baptiste. A Praslin, 40  % des terres ont déjà été mises à nu par des incendies.
La vallée de Mai, avec ses 19,5 petits hectares, est particulièrement vulnérable.  » A cause du changement climatique, il y a moins de pluie, plus de sécheresse : les risques de feu sont accrus, s’alarme Mme Fleisher Dogley. Un seul incendie suffirait pour que les derniers cocotiers sauvages disparaissent d’un claquement de doigt. « 

Bruno Meyerfeld
Dans le Monde daté du 2 février 2017

Viébel – Chaque graine porte en elle le devenir d’un géant.

Marie-Laure Viébel s‘empare de la plus grosse graine du monde et la transforme en  « Graine de vie ». Les formes premières sont sa source d’inspiration.
Fascination en découvrant la plus grosse graine du monde, le mythique « Coco de mer » venant, selon la légende, d’arbres poussant sous la mer. Vestige des temps préhistoriques, trésor exclusif de la « Forêt de Mai » sur l’île de Praslin dans l’archipel des Seychelles, le « coco de mer » est un prodige de la nature. Cette graine voyageuse, trophée des cabinets de curiosité en Europe dés le XV ème siècle, a été transformée en bol d’aumône par les Sâdhus en Inde, en « Kashkul » par les Soufis en Perse.

Viébel métamorphose cette mystérieuse graine à la silhouette hermaphrodite en utilisant la subtile technique de la dorure à la détrempe et la transcende en l’illuminant d’or. L’or, la chair des dieux, les larmes du soleil.
A l’image des icônes, des sarcophages égyptiens, des bouddhas, ces graines sous un manteau d’or entrent dans le domaine du sacré.
Elles célèbrent le cycle de la Vie.

Pour Marie-Laure Viebel, l’art est une forme d’engagement. Il se doit aussi d’alerter, d’inquiéter. Par ce dialogue singulier entre le monde végétal et le monde humain, ses graines dénoncent les dangers qui menacent la Nature, en pointant les effets pervers de l’Homme sur l’environnement.

Anne Fontaine

Viébel – Graines de vie

La « graine » une fois plantée, germe, grandit, donne une fleur, et avant de mourir, donne d’autres graines.
C’est le symbole du « cycle de la vie. »
Marie laure Viébel s’empare de la plus grosse graine du monde et la transforme en « graine de vie ».

Les formes premières sont sa source d’inspiration.
Fascination en découvrant la plus grosse graine du monde, le mythique et mystérieux coco de mer venant exclusivement des Seychelles, vestige des temps préhistoriques, devenu une des pièces maitresses des « cabinets de curiosité ».

Prodige de la nature, cette graine est double : deux lobes, mais surtout une double représentation à la fois du sexe féminin et du sexe masculin. Dialogue unique et improbable entre le monde végétal et le monde humain.

Depuis des siècles, ces graines voyageuses, transformées en bol d’aumône, en boites, en « Kashkul », sont des attributs sacrés chez les sâdhus en Inde, ou les adeptes du soufisme, notamment en Perse.

Viébel transcende la graine et la fait entrer dans le domaine de l’Art sacré.

Sublimation par les matières : de la graine dorée à la détrempe en passant par le bronze, elle se tourne vers le verre en travaillant avec un artisan de Murano.
Il faudra de longs mois à Gianni SEGUSO, Maitre verrier de génération en génération à Murano depuis le XVIe siècle, pour mettre au point une technique spécifique pour la réalisation de ces « graines de vie ».
C’est ce savoir faire infini et séculier des Maitres verriers de Murano qui permet de toujours faire reculer « les limites du possible » en matière de création.

Chaque pièce, exemplaire unique, est réalisée à partir d’un bloc de verre massif pesant de 10 à 13 kg.
Le Maitre va travailler « à chaud » pendant de longues heures en copiant une matrice fournie par Viébel.
Il est secondé par deux assistants qui sans cesse font transiter la future graine de l’établi vers le four, afin de maintenir la masse de verre à température incandescente. Une fois la forme parfaite obtenue, le maitre, pour « Oxygène » y a soufflé des bulles d’air. La pièce doit alors être placée pendant trois jours dans un « four à refroidissement » afin que lentement, le verre se stabilise. Là, tout peut arriver : la pièce peut craquer, ou pire se briser.
C’est la partie aléatoire et incontrôlable du travail du verre, matière vivante, magique et mystérieuse, parfois rebelle.
Dernière étape, à la meule, la graine sera polie pour obtenir une finition parfaite.

Caroline Tresca
Viébel – Musée Maillol : « Oxygène » Graine de vie

La  « graine » une fois plantée, germe, grandit, donne une fleur, et avant de mourir, donne d’autres graines.

C’est le symbole du « cycle de la vie. »

Marie-Laure Viébel s’empare de la plus grosse graine du monde et la transforme en « graine de vie ».

Les formes premières sont sa source d’inspiration.
Fascination en découvrant la plus grosse graine du monde, le mythique et mystérieux coco de mer venant exclusivement des Seychelles, vestige des temps préhistoriques, devenu une des pièces maitresses des « cabinets de curiosité » d’atan.

Prodige de la nature, cette graine est double : deux lobes, mais surtout une double représentation à la fois du sexe féminin et du sexe masculin. Dialogue unique et improbable entre le monde végétal et le monde humain.

Depuis des siècles,  ces graines voyageuses, transformées en bol d’aumône, en boites, en « Kashkul », sont des attributs sacrés chez les sâdhus en Inde, ou les adeptes du soufisme, notamment en Perse.

 Viébel transcende la graine et la fait entrer dans le domaine de l’Art sacré.

Sublimation par les matières : de la graine en bois doré, en passant par le bronze, elle se tourne vers le verre en travaillant avec un artisan de Murano.
Il faudra de longs mois à Gianni SEGUSO, Maitre verrier de génération en génération à Murano depuis le XVIe siècle, pour mettre au point une technique spécifique pour la réalisation de ces « graines de vie ».
C’est ce savoir faire infini et séculier des Maitres verriers de Murano qui permet de toujours faire reculer « les limites du  possible » en matière de création.

Chaque pièce, exemplaire unique, est réalisée à partir d’un bloc de verre massif pesant de 10 à 13 kg.
Le Maitre va travailler « à chaud » pendant de longues heures en copiant une matrice fournie par Viébel.
Il est secondé par deux assistants qui sans cesse font transiter la future graine de l’établi vers le four, afin de maintenir la masse de verre à température incandescente.
Une fois la forme parfaite obtenue, le maitre, pour « Oxygène » y a  soufflé des bulles d’air.
La pièce doit alors être placée pendant trois jours dans un « four à refroidissement » afin que lentement, le verre se stabilise.
Là, tout peut arriver : la pièce peut craquer, ou pire se briser.
C’est la partie aléatoire et incontrôlable du travail du verre, matière vivante, magique et mystérieuse, parfois rebelle.
Dernière étape, à la meule, la graine sera polie pour obtenir une finition parfaite.

Viébel – De « l’œuf » à la « Graine de Vie »

 L’œuf est un symbole universel, lié à la création du monde

A la fois germe, symbole de dualité et de renaissance, de tout temps, il a inspiré les artistes : le plus illustre d’entre eux fut le joailler russe  Pierre-Karl Fabergé (1846-1920) avec ses 50 célèbres œufs, véritable œuvres d’art, destinés à la famille impériale et  réalisés dans les matières les plus précieuses.

L’œuf incarne trois grandes idées :

  1. C’est le symbole du germe, de la réalité primordiale.

La naissance du monde à partir de l’œuf est une idée commune aux Grecs, aux Egyptiens, aux Hindous, aux Russes, aux Chinois, aux Japonais, et à bien d’autres civilisations.

  1. C’est aussi le symbole du double.  

« L’œuf cosmique » est un, mais il se sépare en deux moitiés pour donner naissance au Ciel (Yin, léger comme le blanc) et à la Terre (Yang, dense comme le jaune).

Au commencement, il n’y avait que  «  le Non Etre ». Il fut l’Etre.
Il grandit et se changea en œuf. Il reposa toute une année, puis il se fendit.
Deux fragments de coquille apparurent : l’un d’argent, l’autre d’or.
Celui d’argent, voilà la terre, celui d’or, voilà le ciel.
(Texte hindou.)

  1. C ‘est enfin le symbole du cycle de la création.

 Selon la tradition de Pâques, l’œuf coloré ou orné illustre une Naissance, et plus particulièrement une Renaissance.
L’œuf confirme et incarne la Résurrection qui n’est pas une naissance, mais davantage un retour perpétuel de la nature, une Répétition, une Régénération 

Comme l’œuf, la graine symbolise le début de la vie et la magie du cycle biologique.

Ce symbolisme commun à l’œuf et à la graine est au centre de l’œuvre de Marie-Laure Viébel.

Depuis plusieurs années, cette artiste parisienne travaille sur la plus grosse graine au monde, vestige des temps préhistoriques, que l’on ne trouve qu’aux Seychelles : le « coco de mer ».

 Appelé vulgairement « coco fesse », il peut être comparé à un « œuf maritime ». Il a voyagé sur l’océan indien pour atteindre l’Inde ou la Chine.

Comme l’œuf, cette graine exceptionnelle incarne l’origine de la vie (la germination), la dualité (elle est formée de deux lobes ; elle est à la fois végétale et humaine) mais aussi  le cycle de vie (« la graine germe, grandit, donne une fleur, qui va donner d’autres graines, elles mêmes fertiles »).

Au fil d’un travail lent et méticuleux, métamorphosées et magnifiées par l’or (« la chair des Dieux »), en bronze ou en  verre de Murano, les « Graines de Vie » de Marie-Laure Viébel sont, comme « l’œuf » une nouvelle et singulière illustration du mythe de la Création.

Montées sur socle, elles rappellent les masques rituels qui permettent à des sociétés traditionnelles d’entrer en contact avec leurs ancêtres pour invoquer leur protection. Cette fonction bienfaitrice de transmission, cet irruption de l’art dans la Nature, font entrer ses « graines de Vie » dans le vaste monde du sacré.

Entretien entre Viébel et Toguo

rencontre-vielbel-toguoRencontre à l’atelier de Barthelemy
Le 15 janvier 2013.

A quand remonte votre première rencontre ?

MLV : C’était en 2006, au Musée d’art moderne du Palais de Tokyo, à l’occasion d’une exposition collective à laquelle participait Barthelemy. J’y ai découvert une aquarelle aux couleurs mêlées de vert, rose, et ocre signée Toguo, « Private Garden » : une gigantesque plante s’élance, ses terminaisons sont des têtes humaines percées de clous.
Cette symbiose dans l’art entre l’homme et la nature m’a toujours intéressée. Magique l’émotion ressentie…

BT : C’est une œuvre qui remonte à 2002. Cela faisait quatre ans que je travaillais la technique de l’aquarelle en réalisant la série « Baptism » sur des formats moins ambitieux alors (30 x 30).
Enfin, ce médium m’offrait de la fluidité dans les couleurs, mais aussi de la fragilité, de la légèreté. J’ai rencontré pour la première fois Marie-Laure dans le cadre de cette exposition, et le courant est tout de suite passé entre nous : nous parlions le même langage, partagions les mêmes préoccupations. Je comprends sa fascination pour ces corps, ces végétaux… (Rires).

MLV : Oui, j’ai ressenti comme un écho inattendu à mon travail sur les « graines de vie ».

Et toi, Barthélémy, à quelle occasion as-tu découvert le travail de Marie-Laure ?

BT : C’était en juin 2012, lors d’une exposition collective Villa du Lavoir à Paris, en face de l’atelier du graveur René Tazé.

Marie-Laure m’a montré et commenté ses « graines de vie » en bronze, en verre, posées ou soclées. J’ai été séduit par la dualité de ces deux lobes aux galbes puissants et provocants. Cela m’a renvoyé à certaines de mes œuvres où figurent des graines, comme la série d’aquarelles « Dream catchers ».
La graine est le principe de vie, l’origine et l’aboutissement d’un cycle. C’est elle qui permet la germination.

MLV : Barthélémy ne connaissait pas « la plus grosse graine du monde ». Par mon travail, j’ai cherché à la magnifier, la sacraliser en la faisant entrer dans le monde de l’art.

Malgré vos parcours divergents, qu’est-ce qui, tous les deux, vous rassemble ou plutôt vous ressemble ?

BT : Outre le fait que nous appartenions à la même génération, et que nos démarches artistiques s’expriment de façon différente tout en se rejoignant, nous portons un regard commun sur la Nature, « mother Nature » comme on dit en anglais, qui investit l’espace de l’art. Et l’art doit être porteur d’espoir…

MLV : Je suis cette idée. Notre production artistique célèbre la Nature et la relation des hommes avec la Nature. L’art incarne ce rêve fou de vivre en harmonie avec la Nature. Nous voyageons fréquemment tous les deux à travers les cinq continents. La folie de la course à la production y est partout présente. Les OGM envahissent peu à peu toutes les parcelles de terre : maïs, coton, blé…
Les hommes jouent dangereusement avec le feu sacré.

BT : Je suis aussi inquiet face à la surexploitation forestière, la monoculture imposée en Afrique par les firmes occidentales. Marie-Laure sera d’accord avec moi, même si mon militantisme est plus extrême, plus critique encore que le sien.
L’art étant une forme d’engagement, il se doit de faire passer un message, une alerte, surtout pour les futures générations. Nos œuvres interrogent et incitent à faire prendre conscience de tout cela.

MLV : Oui, et il y a urgence !

Comment à pris forme le projet de cette exposition à quatre mains, à Barbizon ?

MLV : En 2011, j’ai reçu, dans mon atelier parisien, le maire de Barbizon avec les membres du Conseil municipal pour évoquer un projet d’exposition.
« L’école de Barbizon », ce sont ces peintres aventureux et révolutionnaires qui, à partir des années 1830, ont jeté un pont entre le classicisme et l’impressionnisme. Ils ont été parmi les premiers à sortir de leurs ateliers et planter leur chevalet en pleine nature pour capter la lumière naturelle.
L’un d’entre eux a remarqué sur le mur une aquarelle de Barthélémy de la série « Purification ». L’idée s’est vite imposer : associer Barthélémy à ce projet d’exposition.

BT : J’ai tout de suite accepté la proposition de Marie-Laure. Nous allions, en travaillant ensemble, pouvoir raconter une histoire. Comme elle, je suis très sensible à tout ce qui concerne la forêt, le bois. Ces thèmes ou plutôt ces préoccupations sont présents depuis mes premières œuvres. Quand elle a évoqué l’idée de mettre en scène les « Sept péchés » capitaux autour de « l’arbre de vie », j’ai dit : OUI.

MLV : De-là, nous avons ensemble réfléchi, chacun avec notre regard, en mettant en commun nos cultures respectives si différentes, sur les notions du Bien, du Mal, des interdits, pour réaliser les installations.

BT : Oui, chrétiens ou pas, Africains ou Européens, nous sommes tous des humains… Et comme on dit chez nous les Bamilékés : « Ne pose pas tes yeux sur le bien d’autrui. »

Belinda Cannone – Graine de merveille
Longtemps nous fumes devant le monde comme devant la graine prodigieuse : les yeux écarquillés dans l’attente des floraisons multiples, des promesses tenues et des fruits abondants. La vie nous enchantait. Nous devinions que la jolie Terre verte et bleue tournant dans le cosmos ramènerait les cycles et les saisons et nous savions que la graine de coco n’attendait que le moment propice pour faire advenir son contenu précieux. Oui, il y eut un temps, qui s’éloigne à présent, où nous ne pensions pas que l’abondance aurait un terme.

De cette graine, magnifiée par l’art et l’or, traversée d’une bouche paisible et souriante, Marie-Laure Viebel a inversé le processus de germination : au lieu de se déployer en un bel arbre, elle accueillera nos pensées et nos rêves. Nous glisserons nos mots entre ses lèvres sages et, devenue graine parlante, elle exprimera notre désir d’échapper au désastre et de vivre en amitié avec la nature. Car cette graine de beauté et de sensualité propose un autre rapport au monde, où la caresse se substitue à la prédation, et la joie à la consommation.

Elle dit une urgence : celle de préserver cette planète fastueuse afin de goûter, longtemps, notre émerveillement d’en être les habitants.
Belinda Cannone
Marguerite Pilven, critique d’art – Ode à la vie

Marie‐ Laure Viébel crée des sculptures rondes et sensuelles. Illuminées par la feuille d’or, irisées par le verre de Murano ou satinées par le bronze voluptueux, toutes proviennent d’une même forme d’origine : le coco de mer, trésor exclusif des Seychelles que l’on trouve principalement sur l’île de Praslin. Viébel a été éblouie par cette graine d’un brun mat qu’elle a eu l’idée de métamorphoser en lui apportant la lumière. Son apprentissage dans un atelier de dorure l’a initié aux secrets de la technique « à la détrempe ». Un procédé qu’elle se réapproprie pour transcender la graine dans ce matériau précieux. De l’Orient à l’Occident, l’or appliqué sur un objet lui donne une valeur d’exception (sarcophages égyptiens, icônes…). Prélevée de son contexte naturel, la graine amorce entre ses mains une trajectoire spirituelle.

Cette relique du monde végétal est connue pour ses formes suggestives évoquant l’anatomie humaine. Sa fente centrale rappelle celle qui orne les bas‐ventres des divinités archaïques de la fertilité en Grèce, en Asie et surtout en Afrique Noire où leur pouvoir s’associe étroitement à la fertilité du sol. Le bronze que Viébel emploie pour certaines pièces suggère un retour à la terre‐mère, génératrice et sustentatrice de tout ce qui vit. D’autres civilisations ont vu en cette graine aux formes opulentes un symbole de prodigalité. Les iraniens en ont fait des bols d’aumône, ou « Kashkul », attribut des derviches. En Inde, elle sert parfois de récipients pour transporter l’eau sacrée du Gange.

Sondant ces trajectoires multiples, Viébel s’inscrit dans l’histoire polymorphe de cette graine et s’en inspire. Ses sculptures sont autant de réceptacles où résonnent ses souvenirs de voyages, son goût pour les civilisations anciennes et pour l’art sacré. Une trajectoire que l’exposition accompagne en les faisant dialoguer avec des objets issus d’autres cultures. Montées sur socles, elles rappellent les masques rituels qui permettent à des sociétés traditionnelles d’entrer en contact avec leurs ancêtres pour rechercher leur protection. Cette fonction bienfaitrice de transmission est aussi celle des « graines de vie » qui nous fascinent par leur forte présence.

Au fil d’un travail lent et méticuleux proche de celui de l’artisan, Viébel fait saillir la beauté inhérente à la graine. Le dessin qu’elle réalise s’adapte à ses formes, issu d’un dialogue sensible avec ses qualités physiques. Tel un trophée, chaque sculpture marque l’accomplissement de cette rencontre féconde. Le yin‐ yang chinois qui orne parfois leur surface évoque directement ce mystère de la création lié à l’interaction de deux éléments. Cultivant le terreau fertile de l’histoire de l’art, Viébel adresse aussi des clins d’oeil à ceux qui, dit‐elle, « lui ont ouvert les yeux » ; des artistes qui se sont tournés vers les cultures lointaines pour retrouver, dans leur caractère intemporel, l’essence de l’émotion esthétique : Pierre Soulages avec les statues‐menhirs du Rouergue, Zao Wou‐Ki avec une peinture chinoise plusieurs fois millénaire.

Prenant le végétal pour point de départ, Viébel met en retrait sa subjectivité et se laisse porter par les associations d’idées que la graine lui « dicte ». L’importance qu’elle accorde à son objet comme source d’inspiration la rapproche aussi du surréalisme1. Ce mouvement s’est intéressé à la puissance évocatrice d’éléments naturels qui, suscitant une émotion vive, exaltent l’imaginaire et le désir. Un choc vital qui s’exprime avec force dans les sculptures de Viébel et vient toucher nos esprits.

Marguerite Pilven, critique d’art.

1 André Breton parle d’une « conscience poétique des objets » qui ne se révèle « qu’à leur contact spirituel mille fois répété. » L’objet surréaliste, Emmanuel Guigon, p. 11, Ed. Jean Michel Place.
Féderica Matta – Rencontre de la lune et du soleil

Avant les batailles de la lune et du soleil contre les serpents du Chaos des Egyptiens. Avant les démons avaleurs d’immortalité et eclipseurs des forces d’ombres et de lumières de l’Inde.
Avant les Pumas, les grands jaguars aux colères de tonnerres et aux yeux d’éclairs.
Avant même les querelles amoureuses des Mayas et de l’Amazonie où chacun disparaît en éclipses de tristesse et de colère.
Il y a eu une graine, que nous portons en chacun de nous : c’est celle de « La rencontre de la lune et du soleil ».
Dans ce mystère de la création du monde, la nuit et le jour ont croisé leurs regards : l’or soleil, la lune argentée.

Depuis des siècles, les Chinois voient eux aussi dans la dualité, le Yin et le Yang, l’occasion de se transformer dans un mouvement perpétuel, porteur de lumière dans les cœurs.

Cette graine des origines, source vive du visible et de l’invisible, où la peur et l’amour se rencontrent, crée ce territoire commun d’échange et de fraternité.
Nous sommes tous chacun une graine, errants dans les labyrinthes de le la vie, venant des étoiles, créant des étoiles.

De la graine et de l’arbre, de la lune et du soleil, la question n’est pas qui fut le premier, mais quel fut l’étonnement de leur rencontre…

Féderica Matta
Aman Nath – The ‘Complete’ Seed

The ‘Complete’ Seed

Perhaps the most visual and sculpturesque symbol of vegetal life from our planet Earth comes from this region. This amazing seed is commonly called Coco de mer, or the coconut of the sea. As a natural dried fruit, its skin hardens to a polished, dry surface – almost as if it were burnished with a grinder.

Composed of a twin fruit that grows on the Crescentia trees in the Seychelles, the West Indies an tropical America, the coco de mer came to be regarded as a cult object, particularly by the Tantrics and Shaivites of the Malabar coast of India. This was owing to its haunting resemblance to the female and male genitalia – one on each of its sides. This also made it an obvious object of curiosity and veneration.

‘Reputedly the worst place for witchcraft is Malabar, where the Odiyan or Black magician is a figure of dread. Obiyans belong to an outcaste tribe and are fully conversant with the magical use of poppets to cause the enemy’s death, with the art of sending spirits to haunt people, with the method of exorcizing troublesome and vexations demons, and so on’, wrote Benjamin Walker.

In other more functional versions used by Indian ascetics the kernel of the nut is hollowed and the shell neatly sliced and hinged to become a calabash or khappar – a begging bowl or a storage resceptacle used by wandering mendicants.

Such a potent symbolism which comes down to mankind could hardly escape the attention of the creative Indian psyche, where the Chinese yin-yang had found a more human and sensual representation in Shiva-Shakti. In such iconic representations, best known from the 10th century Chola bronzes, and in the long tradition of miniature painting,when Parvati sits on the left thigh of Shiva, her right arm around his shoulder and his left arm gently holds her by the waist. They gaze at each other in intense emotion. This is a deep and everlasting rapture not just of momentary lust – for they are both imbued with the secret knowledge that, though seemingly two, they are fundamentally one.

Although humans are evolved enough internally and biologically in their DNA – if we want to use today’s terms to measure and resolve this male-female duality within themselves in a dualistic monoism, the puritanical world had come to label this in their ignorance as an aberration –homosexuality. The awareness of this duality within each of us can, in fact, can also be seen as a triumph of a certain self-contained self-sufficiency and contentment – one of not being dependent on the other sex to be complete.

But even without loading any human symbolisms and meanings on this showpiece seed of Mother Nature, it can be admired just for what it is. That Marie Laure recognises the ‘complete seed’ in the isolation of her creative studio and carries it with all its flamboyance in bronze, gold leaf, or glass is a tribute to her Occidental-Oriental integration which comes from the rich, open life she had lived in many parts of this globe.

Aman Nath

New Delhi. October, 2012

 

Lyane Guillaume

Dans son livre consacré au « coco de mer » des Seychelles, l’explorateur et naturaliste français Fauvel (1851-1909) raconte qu’en 1771 « une corvette anglaise expédiée de Bombay mouilla à Praslin pour prendre des cocos de mer et mit le feu sur l’île Curieuse qui, mitoyenne de Praslin, recélait aussi beaucoup de cocotiers de mer, ce qui fit périr un grand nombre de ces précieux palmiers ».

Voilà comment s’y prenaient les Britanniques, futurs maîtres des Indes, pour faire monter artificiellement le cours du « coco de mer » ou « noix des Seychelles », qu’ils iraient vendre à prix fort sur les marchés de Bombay !

Les indiens prisaient fort en effet, pour ses vertus curatives et aphrodisiaques, cette énorme graine callipyge appelée parfois « coco fesse », présentant sur une face l’esquisse d’un triangle pubien et sur l’autre un clitoris ou même l’amorce d’un pénis… On ne s’étonnera pas de cette fascination, l’hindouisme ayant toujours accordé à l’érotisme, en particulier à travers le dieu Shiva, une importance attestée par les nombreuses représentations en pierre du « linga » (phallus) et du « yoni » (organe génital féminin). En outre, le bol à aumône des « moines mendiants » de l’Inde (qu’ils appartiennent à la tradition hindouiste des sâdhus ou à celle, musulmane, des soufis) était parfois constitué d’une moitié de ces graines. Gravées ou sculptées, elles pouvaient être utilisées comme récipients pour transporter l’eau sacrée du Gange ou comme boîtes destinées à contenir des objets religieux ou précieux.

En tout cas, bien avant que la perfide Albion n’envoie des matelots voler ces graines in situ, elles étaient connues sur le continent indien. Comment étaient-elles arrivées là ? Plusieurs hypothèses s’affrontent, plusieurs légendes devrait-on dire :

Emportée par les eaux de l’océan indien (d’où ce nom de « coco de mer »), la noix des Seychelles aurait dérivé et échoué sur les plages du sud de l’Inde mais sous forme de coque vide, stérile, donc incapable de prendre racine, car la graine entière est bien trop lourde pour flotter.

Des tombes indo-musulmanes découvertes par les premiers Européens sur l’île Silhouette dans l’anse Lascar tendraient à prouver que des musulmans venus de l’Inde (on les appelait « lascars ») auraient débarqué aux Seychelles et donc découvert le « coco de mer ».

La dernière hypothèse ne manque pas de fantaisie : c’est l’aigle géant Garuda lui-même, monture du dieu hindou Vishnu, qui aurait transporté cette graine mythique vers son destin fabuleux…

Lyane Guillaume

 

Luis Mizon – Poème : « Noix de l’origine »

Sans couloir d’ombre,
Comment tromper la sécheresse ?
Sans parapluie doré
Comment barrer le chemin des épines à venir ?

La caresse de l’espèce
Est encore la seule possible
Du toucher et du regard.

J’écoute la mer dans le ciel
Récemment photographié
Le mur éphémère d’un nuage qui s’écroule.

Le poème est un œuf
Noix d’origine sur son lit de matière
Sans poids.

Un palmier minuscule
Sort son poignet de plumes
Et ramène l’horizon jusqu’à ici.

Luis MIZON, Mars 2009.